Christine Lagarde à la Banque Centrale Européenne
Par Cyprien Bettini, ex-Vice-Président de Our Hope
2 Juillet 2019, Conseil européen, 19h, les Journalistes présents attendent impatiemment le moment fatidique. Durant les trois jours précédents, les Chefs d'États européens se sont rencontrés pour trouver un accord sur les différents candidats à présenter à la présidence des plus grandes institutions de l'Union. Enfin, Xavier Bettel Premier Ministre du Luxembourg arrive et annonce les 'heureux candidats' ; la Ministre Allemande de la Défense Ursula Von der Leyen à la Présidence de la Commission, l'ancien Premier Ministre Belge Charles Michel à la tête du Conseil européen et Christine Lagarde à la Banque Centrale européenne.
Ce dernier choix surprend ; le favori Jens Weidmann est ainsi mis hors course au profit de la Française dont les critiques à son égard n'ont pas tardé à fuser. La première de ces critiques étant que Christine Lagarde n'a été conduite à ce poste que pour être un lot de consolation pour le Président Macron qui n'aura réussi à mettre un/e Français/e à la tête de la Commission. L'autre critique concerne son manque de connaissances sur les mécanismes économiques de l'Union. Pour le Daily Telegraph en effet, les études de droit qu'a suivies Christine Lagarde ne sont pas suffisantes pour rivaliser avec les connaissances très précises de son prédécesseur, l'Italien Mario Draghi.
Malgré cela, les défenseurs de la présidente du FMI n'ont de cesse de rappeler que celle-ci dispose d'un parcours et de qualités qui lui permettront d'adosser les responsabilités de son poste ; d'abord avocate dans un cabinet privé puis Ministre des Finances en France pour enfin finir comme présidente du FMI, Christine Lagarde a su évoluer dans des secteurs à la fois privé et publics, internationaux comme nationaux. Elle est également appréciée auprès de ses proches pour son sens de la diplomatie et sa polyvalence. Donald Tusk répond ainsi aux critiques précédentes en affirmant que : « les politiques se basent sur des chiffres, et non-pas la politique » et qu'elle a su à ce titre se montrer suffisamment qualifiée pour endosser cette fonction, qui n'est pourtant pas à prendre à la légère.
La Banque Centrale est en effet une des institutions clés de l'UE. Si elle n'a pas la même considération que la Commission, elle reste néanmoins très importante. C'est elle qui produit la monnaie de la zone euro (19 pays en tout) et fixe le taux directeur. Sa principale mission est de veiller à ce que les richesses circulent correctement au sein de l'UE. Pour ajuster correctement ce flux, elle peut mener à bien deux types de politiques ; soit celle de rigueur (en retirant des richesses pour éviter que les prix montent et/ou que les dettes montent trop) soit celle de relance (en injectant des richesses pour relancer la consommation et l'emploi).
A ses débuts, la BCE veillait à ce que les États ne s'endettent pas trop et que les prix ne s'envolent pas. A la suite de la crise des Subprimes et de la panique en Grèce, elle prend le pari risqué de se tourner vers des politiques de relance pour essayer de sauver la croissance des États-membres de l'Union. La Président d'alors, Mario Draghi avait marqué les esprits avec son « whatever it takes » (« quel qu'en soit le prix ») pour signifier sa détermination à lutter à tout prix contre la spirale déflationniste (lorsque les prix baissent suffisamment pour nuire à l'économie d'un pays). Au lendemain de cette crise, le bilan de la BCE est en demi-teinte, si elle a réussi à sauver les meubles (grâce à l'action de Draghi), les pays européens se retrouvent en grande majorité dans une délicate situation ; croissance faible, taux de chômage élevé, inflation grimpante, baisse du pouvoir d'achat global... tout cela dans un fond de contestation sociale ambiant. Néanmoins, l'économiste italien a su obtenir de cette situation la réputation du sauveur de la zone euro aux yeux des hommes/femmes de la finance. Mais il sera difficile d'envisager la même chose pour celle qui prendra sa relève.
Le contexte est déjà bien différent ; si Mario Draghi a dû intervenir rapidement pour éviter la catastrophe, ce n'est pas le cas de Christine Lagarde, qui elle devra surtout s'assurer de la bonne relance de la croissance et de l'emploi sans que cela n'ait un impact trop important sur les dettes publiques des Etats. Une mission qui en somme consiste à 'nettoyer les dégâts' de l'après-subprimes. Cette mission risque d'être fortement impopulaire aussi bien auprès des Européens/nnes que des financiers puisque Lagarde va devoir faire un choix entre opter pour une politique de relance (au risque d'aggraver la dette des Etats et réitérer la crise souveraine) ou une politique de rigueur (risquant de ralentir encore plus les taux de croissance et de l'emploi à peine en train de se rétablir).
Son choix semble déjà fait ; au cours de son mandat à la présidence du FMI, elle n'a jamais marqué son désaccord lorsque Mario Draghi a mené sa politique de relance in extrémis. Aussi, les experts de la BCE estiment que Lagarde va vouloir assurer la continuité avec son prédécesseur. Mais cette attitude semble paradoxale lorsque l'on se penche sur l'institution qui est connue pour ses programmes d'ajustements structurels à l'origine dans certains pays d'Afrique et d'Amérique latine de privilégier les intérêts des pays riches plutôt que de l'économie locale, notamment en obligeant les États (après leur avoir faits des prêts considérables) à mener des politiques de rigueur et à ne pas refuser certaines réformes amenant à la libéralisation du pays. Le mandat de Lagarde semble nous montrer qu'elle était plus encline à refuser cette situation. Mais même si elle souhaitait vouloir mener une politique monétaire aussi ambitieuse que Draghi, il est difficile d'envisager qu'elle puisse y arriver aussi bien que lui. Encore une fois, le contexte dans les années 2010 avait permis à l'italien d'avoir recours légitimement à des outils monétaires encore innovants (particulièrement le 'quantitative easing' ou 'prêteur en dernier ressort'). A cette période, Draghi, grâce à sa connaissance très fine des rouages économiques, avait su convaincre son entourage que c'était la moins pire des solutions. Et le temps lui a donné (à moitié) raison.
Mais maintenant que la crise est passée et que le cycle de la croissance reprend, Lagarde ne pourra probablement pas pouvoir faire usage des outils monétaires atypiques. Seuls sa détermination, sa ténacité et son sens de la diplomatie lui permettrait de se faire entendre au sein des différents conseils et comités. Encore faut-il que détermination, elle en ait.
Cyprien Bettini, Vice-Président de Our Hope