Comment expliquer la probable victoire de l'extrême droite en Italie et quelles en seraient les conséquences ?

24/09/2022
Les 3 leaders de la coalition de droite lors du meeting commun, le 22 septembre
Les 3 leaders de la coalition de droite lors du meeting commun, le 22 septembre

Jeudi 22 septembre, sur la place du peuple à Rome, se tient le dernier rassemblement de la coalition de droite, réunissant ses trois leaders : Silvio Berlusconi, plusieurs fois président du conseil, le souverainiste Matteo Salvini et la dirigeante de Fratelli d'Italia, Giorgia Meloni. La campagne électorale est sur le point de s'achever après plusieurs mois d'incertitude. Dimanche 25 septembre, les Italiens sont appelés à élire les 200 sénateurs et 400 députés qui composent le Parlement. La coalition de droite est largement en tête dans les sondages, réunissant plus de 45% des intentions de vote. Giorgia Meloni apparait comme ultra-favorite pour le poste de président(e) du conseil et deviendra probablement la première femme à l'obtenir. Comment expliquer cette possible victoire de l'extrême-droite et quelles en seraient ses conséquences ?

Comment expliquer cette percée de Fratelli d'Italia ?

Pour commencer, la classe politique italienne s'est profondément renouvelée depuis quelques années. À partir des années 90, les coalitions de centre gauche et centre droit recueillent la majorité des suffrages. Aussi, Silvio Berlusconi est nommé 3 fois président du conseil : en 1991, 2001 et 2008. Il obtient le record de longévité à ce poste. Tout change à la suite des différentes crises économiques que traversent l'Europe et le monde. En 2011, Berlusconi est alors contraint de démissionner face à la pression des marchés. Le bipartisme de l'ère Berlusconi s'efface et fait place à une refonte de la scène politique italienne. De nouveaux partis et figures émergent. Lorenzo Castellani, chercheur en sciences politiques à Université Guido Carli de Rome, sépare ce renouvellement en 3 courants. Premièrement, Luigi di Maio et le Mouvement 5 étoiles (M5S) incarnent un populisme antipolitique qui récuse les figures politiques traditionnelles et promeut la démocratie directe. Deuxièmement, il qualifie la posture représentée par Mario Draghi et Mario Monti de technocratique. Ce dernier succède à Sergio Berlusconi en 2011 et forme un gouvernement de « technocrates » pour répondre à la crise économique. Troisièmement, le nationalisme est porté par la Ligue de Matteo Salvini et Fratelli d'Italia. Ces changements apparaissent lors de élections législatives de 2018. Le Mouvement 5 étoiles et la Ligue obtiennent alors la majorité des suffrages et forment un gouvernement. Les partis traditionnels sont en déclin.

Au lendemain des élections de 2018, aucun parti ou coalition n'obtient de majorité absolue. Si le Mouvement 5 étoiles et la Ligue parviennent à trouver un accord de gouvernement, leur relation est instable et le gouvernement chute dès septembre 2019. Finalement, trois gouvernements se sont succédé depuis les dernières élections. Le dernier en date est le gouvernement Draghi, soutenu par tous les partis politiques majeurs à l'exception de Fratelli d'Italia. Ses parlementaires représentaient plus de 80% de la chambre des députés et du Sénat. En juillet 2022, trois des formations composant le gouvernement d'union nationale ont refusé la confiance à Mario Draghi. La guerre en Ukraine, une série de réformes nécessaire à l'attribution du plan de relance européen, et des désaccords sur les questions sociales ont eu raison du sort du président du Conseil. Cela marque le début d'une énième crise politique italienne. Le président italien, Sergio Mattarella, est alors contraint de dissoudre les deux chambres du Parlement. Ayant refusé de signer tout accord de gouvernement, Giorgia Meloni est restée à l'abri de la tempête politique. Son statut d'outsider lui permet de critiquer ouvertement le gouvernement et de tirer parti de ses réformes impopulaires. A l'inverse, son principal concurrent à droite, Matteo Salvini s'est retrouvé obligé d'assumer son action politique et de suivre la ligne du gouvernement. Enfin, le poids politique de Giorgia Meloni montre la volonté de dégagisme des Italiens. Il montre leur résolution à donner le pouvoir à une personnalité ne l'ayant jamais obtenu.

Étant donné la probable victoire de Fratelli d'Italia, quelles seraient les conséquences de voir sa cheffe au Palais Chigi ?

« Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne » : c'est ainsi que la présidente du parti se présentait lors d'un grand meeting en 2019. Elle déclare vouloir défendre Dieu, la patrie et la famille. Dès 15 ans, elle s'engage politiquement au mouvement social italien (MSI), un parti néofasciste dont l'idéologie est proche de celle de Mussolini. Fratelli D'Italia est vu comme étant dans la continuité de ce dernier. Son programme conservateur et ultranationaliste est sujet aux polémiques. Il défend un modèle « de famille traditionnelle », est en faveur d'une préférence nationale, et se montre très dur sur les questions d'immigration. Pour empêcher le débarquement de migrants sur les côtes italiennes, Meloni propose notamment un blocus naval en Méditerranée, et la détention des migrants jusqu'à l'acceptation de leur demande d'asile. De l'autre côté des Alpes, Giorgia Meloni est régulièrement comparée à Marine le Pen. Elle met souvent en avant sa condition de femme et les qualités féminines de « pragmatisme » et « responsabilité ». Elle cherche également à dédiaboliser son parti et éloigner l'image d'un parti postfasciste. Aussi, elle a récemment condamné le régime de Mussolini et fait le ménage dans son parti en renvoyant certains nostalgiques.


Sur l'Europe, Meloni apaise aussi son discours. Celle qui a longtemps plaidé en faveur d'une renégociation des traités européens est revenue sur sa position. En effet, l'Italie s'apprête à recevoir près de 200 milliards d'euros du plan de relance européen. Cette manne financière est conditionnée à la validation d'objectifs précis et de réformes négociées par Mario Draghi. Toutefois, Meloni a d'ores et déjà annoncé vouloir ajuster le plan pour le rendre plus «convenable et efficace». De manière générale, Fratelli d'Italia est en faveur d'un modèle européen confédéral qui ne « s'agenouille » pas devant Bruxelles. En août dernier, le parti a diffusé une vidéo dans laquelle sa présidente parle en 4 langues. Elle demande aux Européens de ne pas avoir peur d'elle et ne pas croire ce qui se dit dans la presse internationale. Sur le plan international, Giorgia Meloni se distingue d'autres partis classés à l'extrême droite en Europe, mais aussi de son allié Matteo Salvini. Elle affiche en effet une position antirusse et pro-OTAN. Elle vote par exemple en faveur de l'envoi d'armes en Ukraine. Lorenzo Castellani résume ainsi les positions du parti: «atlantistes et pro-occidentaux tout en étant défavorable à la centralisation européenne, au dépassement des frontières et des traditions, et à la dilution de l'identité nationale». Ces positions lui permettent d'acquérir une certaine légitimité à l'étranger. Néanmoins, la candidate ne cache pas sa sympathie pour le premier ministre hongrois Viktor Orban. Elle en serait la principale alliée si elle venait à conquérir le pouvoir.


Pour conclure, les élections de ce week-end seront sans doute historiques pour l'Italie. Pour la première fois, un pays fondateur de l'Union Européenne pourrait avoir à sa tête une personnalité d'extrême droite. Néanmoins, force est de constater que cet évènement ne semble pas inquiéter Bruxelles. Les présidents du conseil sont fortement contraints par un système constitutionnel qui entrave, voire obstrue leurs ambitions. De plus, les chefs de gouvernement italiens se succèdent depuis la seconde guerre mondiale : on en compte plus de 69 depuis 1945. À titre de comparaison, la reine Elizabeth a vu passer 16 premiers ministres au cours de son règne.

Jean B.

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